Les Premières Nations et le projet colonial

 In Article

Irene Watson*
Traduit de l’anglais par Valérie Fankhauser
Remarque au sujet des citations et de la mention [nt]††

Photo: “The Granites” by Ian Dolphin


Les Premières Nations[ref] J’utilise le terme « nations » tout au long de cet article pour faire référence aux peuples des Premières Nations, pour affirmer d’un point de vue souverain, relationnel que « nous étions les premiers ». Le terme réfère, entre autres, à une façon d’être déterminée par les Premières Nations et non par le droit international du projet colonialiste[/ref] et le projet colonial

Abstract

The colonial project has embodied a centuries-long, ongoing campaign to annihilate, define, subordinate and exclude the ‘native’, and an arsenal of tools has been applied to these ends. Mast-headed with the Christian mission to ‘civilise’, First Nations laws were deemed non-existent and, for more than 500 years, the colonialist construct of an absence of law in First Nations’ territories was supported by its idealised notions about the ‘savage’ and ‘backward native’. European constructs of backwardness and savagery continue to prevail in contemporary times, but First Nations continue to survive, live, practice and assert a law-full[ref]Law-full is used here to speak back to the idea of terra nullius, and First Nations being without law.[/ref] way of being in the world, one which is different to the European way of being, but no less valid and perhaps more critical to the future of life on earth.

Many appeals made for recognition under international law by First Nations have failed because international law has been created by colonial nations and in the interests of colonialism itself. International law grew out of the distinctions made between civilized and non-civilized states, and those distinctions confirmed that international law applied only to a civilized ‘family of nations’. Anghie argues that colonialism was not an example of the application of sovereignty, but that sovereignty was constituted through colonialism. With the shaping of international law by colonialism, we are left to consider the question: is it possible to reconstruct international law so that it is liberated from its colonial origins? The subject is made more complex by the fact of the many First Nations confined to the ‘domestic paradigm’, immersed within an occupying settler state, and the state policies which aim at their complete annihilation. This paper will explore the possibility of freedom beyond the domestic paradigm and the absorption of First Nations into the universal ‘civilization’ of Europe.

Is there a uniform law of nations? There certainly is not the same one for all the nations and states of the world. The public law, with slight exceptions, has always been, and still is, limited to the civilized and Christian people of Europe or to those of European origin.[ref]From nineteenth century writer Henry Wheaton, Elements of International Law (Boston: Little Brown and Co, 1866) at para 11, cited in Antony Anghie, Imperialism, Sovereignty and the Making of International Law (Cambridge: Cambridge University Press, 2004) at 54.[/ref]

French Translation

Résultat d’une campagne de plusieurs siècles visant à annihiler, définir, subordonner et exclure l’Autochtone, le projet colonial a employé un arsenal d’outils pour y parvenir. La mission « civilisatrice » écrasante du christianisme jugeait les lois autochtones inexistantes. Pendant plus de 500 ans, cette construction colonialiste a été nourrie par des notions idéalisées au sujet du « sauvage » et de « l’autochtone arriéré » afin de consolider une perception d’absence de droit sur les territoires des Premières Nations. Ces constructions européennes du sous-développement et de la barbarie persistent encore aujourd’hui, mais les peuples autochtones continuent de survivre, vivre, pratiquer et revendiquer une manière pleinement légale[ref]Dans le texte anglais, le terme utilisé est « law-full », en réponse au concept terra nullius qui considère les Premières Nations comme des peuples « vides » de lois.[/ref] d’exister qui diffère de l’européenne, mais qui n’en est pas moins valide et qui reste peut-être plus critique de l’avenir de la vie sur Terre.

Plusieurs revendications des Premières Nations pour une reconnaissance par le droit international ont échoué, car celui-ci a été créé par des états colonisateurs dans l’intérêt du colonialisme même. Le droit international s’est développé à partir des distinctions faites entre les états dits civilisés et les états non civilisés qui ont toutes confirmé que le droit international s’appliquait seulement à la « famille de nations » civilisées. Anghie soutient que le colonialisme n’était pas un exemple de l’application de la souveraineté, mais que la souveraineté s’est constituée par le biais du colonialisme. Considérant son influence sur le droit international, la question se pose à savoir s’il était possible de rebâtir le droit international pour qu’il s’affranchisse de ses origines coloniales. Le sujet devient plus complexe du fait que de nombreux peuples des Premières Nations sont enclavés dans le « paradigme national », submergés par un État occupant, ainsi que par des politiques visant leur annihilation. Cet article explorera la possibilité de la liberté au-delà du paradigme national et l’absorption des Premières Nations dans la « civilisation » universelle européenne.

Existe-t-il vraiment un semblable droit des gens ? Non sans doute entre toutes les nations et tous les États du globe. Le droit public a toujours été, et est encore, à quelques exceptions près, limité aux peuples civilisés et chrétiens de l’Europe ou à ceux d’origine européenne. »[ref]Henry Weathon, auteur du XIXème siècle, Elements of international law, Boston, Little Brown and Co, 1866 au para 11, tel que cité par Anthony Anghie, Imperialism, Sovereignty and the Making of International Law, Cambridge, Cambridge University Press, 2004 à la p 54. [/ref]

Spanish Translation

El proyecto colonial ha encarnado por un siglo campañas de aniquilación, subordinación y exclusión “nativa”, y un arsenal de herramientas ha sido empleado para estos fines.  Encabezado por la misión cristiana de “civilizar”, las leyes de las primeras naciones fueron consideradas inexistentes, y por más de 500 años, la explicación colonialista de la ausencia de la ley en dichos pueblos indígenas fue respaldada por esa idealizada noción del pueblo indígena como un pueblo “salvaje” y “atrasado”. Ideales Europeos de retraso y salvajismo permanecieron en la era contemporánea, pero los pueblos indígenas continúan sobreviviendo, practicando y afirmando una medio legal de pertenecer al mundo en una manera diferente al modo de ser Europeo, pero no menos válido y quizás más crítico con relación al futuro de la vida sobre la tierra.

Muchas demandas por el reconocimiento de las leyes internacionales realizadas por los pueblos indígenas han fallado, debido a que el derecho internacional ha sido creado por naciones colonizadoras con fines de colonialismo. El derecho internacional creció basado en la distinción de estados civilizados y no civilizados, y esas distinciones confirman que el derecho internacional ha sido creado para naciones civilizadas, o la “familia de naciones”.  Anghie sostiene que el colonialismo no es un ejemplo de la aplicación de soberanía, sino que esa soberanía se construyó a través del colonialismo. Con la organización del derecho internacional resultando del colonialismo, dejamos en consideración la pregunta siguiente: es posible reconstruir el derecho internacional y liberarlo de sus orígenes coloniales? El asunto resulta más complejo por el hecho de que muchos pueblos indígenas se encierran en “paradigmas domésticos”, inmersos en un estado colonial y en políticas de estado, cuyo objetivo es la aniquilación completa de estos pueblos. Este artículo explorará las posibilidades de libertad más allá de paradigmas domésticos y la asimilación de los pueblos indígena dentro una dicha “civilización” universal europa.

Existe un derecho uniforme de naciones? Es cierto que no existe un mismo derecho para todas las naciones y los estados del mundo. El derecho público, con leves excepciones, siempre ha sido, y aún queda reservado a personas “civilizadas”, entendidas como Cristianos europeos o gente originaria de Europa. (Del autor del siglo XIX, Henry Wheaton, a 54. Nuestra traducción)

Introduction

Cet article est rédigé d’un point de vue critique autochtone et axé sur la réalité aborigène tout en analysant le projet colonialiste d’une position semblable qui se concentre sur le droit et le système judiciaire des Premières Nations

En Australie, le projet colonial a débuté au dix-huitième siècle et se poursuit encore aujourd’hui. Il a encore un impact sur la vie des peuples des Premières Nations. Nos voix critiques assurent un suivi de la nature persistante du colonialisme,[ref] Gayatri Chakravorty Spivak, « Culture Alive » (1995) 5 Austl. Feminist L.J. 3 à la p 10. L’auteure suggère que les termes employés dans le post-colonialisme sont souvent galvaudés. Cela s’avère exact puisque le fait d’être aborigène (aboriginality) est une preuve de l’échec de la décolonisation. Spivak relève le danger du mot « post-colonialisme » au sens utilisé aux États-Unis, à savoir qu’il y a une époque après colonialisme.[/ref] mais restent tout de même au sein de la matrice coloniale. C’est l’État moderne qui, même s’il se déclare libéral et multiculturel, ne possède aucune plateforme réelle où il pourrait reconnaître une autonomie aux Autochtones ou créer un espace où l’économie politique pourrait être mise au défi[ref] Roger Merino Acuña, « Critical Human Rights and Liberal Legality: Struggling for ‘The Right to Have Communal Rights’ » (2013) 3 Philosophy Study 246. Voir aussi Irene Watson, « Aboriginal Sovereignties: Past, Present and Future (Im)Possibilities, » dans Suvendrini Perera, dir, Our Patch, Enacting Australian Sovereignty Post-2001, Perth, Network Books, 2007 aux pp 23-43 [Watson, « Aboriginal Sovereignties »], au sujet de la représentation des voix autochtones sous l’emprise du projet colonial.[/ref]. Et ce, devant les préoccupations des peuples autochtones vivant au-delà du spectre du privilège blanc qui inclue notamment le meurtre, le génocide culturel et environnemental, des taux d’incarcération inimaginables et des niveaux de pauvreté et des conditions de santé précaires qui dépassent grandement ceux des personnes non autochtones.

Le projet colonial date d’il y a longtemps, mais pas autant que les peuples des Premières Nations dont les territoires ont été soumis au pouvoir des empires coloniaux qui imposèrent un ensemble de lois à leurs territoires et leurs compétences. Le projet colonial a commencé avant 1492 quand Colomb a « découvert » des « contrées éloignées habitées par des tribus païennes de sauvages ».[ref] Robert Williams Jr, Savage Anxieties: The Invention of Western Civilization, New York, Palgrave Macmillan, 2012 à la p 179.[/ref] Il a commencé avant 1770 quand le capitaine James Cook déclarait que les territoires de la Nouvelle-Galles du Sud étaient « une petite guerre contre quelques malheureux sauvages sans vêtements ».[ref] Ibid à la p 227.[/ref] Les territoires « découverts » par Cook étaient considérés comme terra nullius, des territoires dépourvus de maîtres. Les colonisateurs qui les envahirent par la suite faisaient figure d’« Européens » et de « blancs », alors que les Autochtones étaient considérés comme « muets ». Comme si les envahisseurs eux-mêmes avaient le pouvoir de désigner sans l’être de retour.[ref] Walter Mignolo, « Who Speaks for the ‘Human’ in Human rights ?, » (2009),  5 Hispanic Issues Series 7, à la p 8 tel que cité par Acuña, supra note 5 à la p 257. [/ref]

Par contre, les terres des soi-disant sauvages autochtones se fondaient sur d’anciens rapports à la terre. Les peuples des Premières Nations entretiennent de longues relations avec ces territoires qui étaient (et qui sont toujours en grande partie) incompréhensibles aux yeux des envahisseurs et de leurs philosophies juridiques et politiques ainsi qu’à leur connaissance des liens avec l’environnement. D’autant plus que les Britanniques voulaient les terres. Leurs théories concevaient les terres comme étant la propriété et le fondement de la société et de la culture, mais sans bien saisir le rapport des Autochtones à la terre. C’est pourquoi beaucoup de peuples autochtones poursuivent leurs luttes et leurs recherches pour créer de nouvelles possibilités de vivre et percevoir l’environnement de façon plus harmonieuse.

L’État avait cependant déployé tout un arsenal de moyens pour empêcher ces possibilités de voir le jour afin de garder les Autochtones aux confins de sa juridiction. Par une méthode éprouvée, le projet colonial définit et construit encore aujourd’hui l’identité autochtone des Premières Nations, en leur enlevant notamment toute subjectivité juridique ou personnalité en droit international.

En édictant des lois, le projet colonial a créé l’illusion que les Autochtones n’en possédaient pas

Par le droit positif, l’État européen « civilisé » était considéré comme souverain alors que le non-Européen « non-civilisé » ne l’était pas. Cette construction est toujours utilisée par les États européens « civilisés » pour refuser aux états non européens « non civilisés » toute souveraineté ou personnalité juridique.[ref] Anghie, supra note 3 à la p 4.[/ref] Les caractéristiques du « sauvage » et de « l’indigène » ont encore préséance, puisque les Premières Nations sont encore perçues comme des peuples sans lois ni souveraineté. Cela permet à l’État colonial d’intervenir quand il présume que les agissements de « l’Autochtone » vont à l’encontre de la loi ou des droits universels de la personne. La culture est souvent la raison sous-jacente à une intervention de l’État. On parlera souvent de « différences culturelles » pour la justifier, qu’elle soit policière ou militaire. C’est ce qui s’est produit dans le Territoire du Nord et dont il sera question plus bas.[ref] Voir Irene Watson, « In the Northern Territory Intervention, What is Saved or Rescued and at What Cost? » (2009) 15:2 Cultural Studies Review 45, (2009) [Watson, « Northern Territory Intervention »], pour une discussion au sujet d’interventions de l’État au nom des droits humains.[/ref] Ce sont les standards des droits universels de la personne néo-libéraux qui établissent si un acte est considéré comme contraire à la loi. Ces mêmes standards établissent aussi la validité des lois autochtones. Doivent-elles être tolérées ou rejetées par l’État ? La Déclaration des Nations-Unies sur les droits des peuples autochtones a démontré la volonté persistante des états colonisateurs de vouloir déterminer l’avenir des Premières Nations et donc de la colonisation. L’Article 46 de la Déclaration permet à l’État de maintenir son intégrité territoriale et politique, ce pouvoir est donc refusé aux Premières Nations.[ref] Charmaine White Face et Zumila Wobaga, Indigenous Nations’ Rights in the Balance: An Analysis of the Declaration on the Rights of Indigenous Peoples, Minnesota, Living Justice Press, 2013. Voilà un excellent compte-rendu des limites de La Déclaration des Nations-Unies sur les droits des peuples autochtones.[/ref] Le même Article justifie le pouvoir qu’ont les états coloniaux de rejeter les lois autochtones en se basant sur un test qui soumet ces lois à des standards universels ambigus tels « les droits de la personne », « la démocratie », « la bonne administration » et la « bonne volonté ». Ces standards ont été transmis dans un cadre européocentrique pour réinscrire la mission civilisatrice et le projet colonial d’assimilation.

En 2007, le gouvernement fédéral de l’Australie a autorisé ses forces militaires à entrer sur les territoires appartenant aux Premières Nations dans le Territoire du Nord (TN) pensant que les communautés autochtones débordaient de violence et d’agressions sexuelles à l’égard des enfants.[ref] Rapport par Rex Wild et Pat Anderson, « Ampe Akelyernemane Meke Mekarle ‘Little Children are Sacred’: Report of the Northern Territory Board of Inquiry into the Protection of Aboriginal Children from Sexual Abuse » (30 juin 2007), en ligne : <http://www.inquirysaac.nt.gov.au/pdf/bipacsa_final_report.pdf>. Le gouvernement du Commonwealth s’est servi des résultats d’un rapport recommandant une collaboration plus étroite avec les communautés aborigènes du Territoire du Nord et des programmes visant leur développement. Au lieu de cela, ces résultats ont servi à légitimer l’intervention militaire dans ces mêmes communautés.[/ref] Cette intervention, connue sous le nom d’Intervention d’urgence dans le Territoire du Nord (Northern Territory Emergency Response), s’est servie de la culture pour mettre en évidence l’hégémonie morale de l’État et de ses citoyens non autochtones. En plus de son indignation, le gouvernement fédéral avait une intention très opportuniste de gestion du territoire qui n’avait rien à voir avec la sécurité des femmes et des enfants.

Il a aussi été avancé que l’interprétation et la transmission de la culture relativement à nos corps ont été utilisées et manipulées par les états colonisateurs à maintes reprises dans le but de préserver et soutenir le projet colonial. Spivak est d’avis qu’une interprétation déterminée de la culture peut être manipulée de sorte que le corps de la femme « devient le théâtre d’un jeu de stratégie […] nous devrions vraiment penser à l’étendue de notre folie en tant que femmes. »[ref] Spivak, supra note 4 à la p 8.[/ref] Ce jeu de stratégie a été employé dans le Territoire du Nord. L’État australien était en position de subjuguer les femmes autochtones et d’en disposer, et puis de changer de rôle; passant du responsable de la violence à celui du représentant des droits universels de la personne et défenseur des droits des femmes et des enfants devant la violence des hommes autochtones. Dans ce contexte, les voix des femmes autochtones sont étouffées par la capacité de l’État à masquer la complexité des faits. Dans l’œuvre Something More (Quelque chose de plus) de Tracey Moffatt datant de 1989, l’image du corps d’une femme autochtone gisant sur le bord de la route pourrait être réinterprété par : Aboriginal women – colonial narrative road kill (Les femmes autochtones – un récit colonial de mort sur la route).[ref] Tracey Moffatt, « Something More #9 » (1989) Roslyn Oxley9 Gallery, en ligne : <http://www.roslynoxley9.com.au/artists/26/Tracey_Moffatt/75/32690/ >. [/ref] Comme le sous-entend le titre, il y aurait peut-être une autre option plus élaborée que celle de la vérité absolue qui domine dans la mission universaliste du projet colonial.

Dans le cas du Territoire du Nord, l’intervention de l’État représente la vérité dominante, une urgence humanitaire. Cachés sous le masque d’interventions humanitaires des états colonialistes, ces évènements sont en fait des reprises de la colonisation. Ils sont perpétrés dans le but de justifier et maintenir des peuples autochtones dans un rôle de colonisé[ref] Watson, « Northern Territory Intervention », supra note 10.[/ref] et restent fondés sur la présomption de leur barbarie – les femmes aborigènes ont besoin que l’État colonisateur vienne les sauver des barbares hommes autochtones.

Ultimement, le projet colonial sert à justifier l’occupation et l’exploitation des terres autochtones en plus de maintenir des rapports inégalitaires entre non Autochtones et Autochtones. Il est d’une importance capitale que le colonisé reste objet de l’État colonial. Les Autochtones ont pour seule option d’être complètement absorbés et assimilés par l’État.

Les stratégies du projet colonial

Sous la bannière du christianisme en mission « civilisatrice », les Européens ne reconnaissaient pas l’existence des lois des Premières Nations. Pendant plus de 500 ans, cette conception a été soutenue par des notions « d’autochtone arriéré ». Ces constructions de sous-développement et de barbarie sont encore bien présentes aujourd’hui comme en témoigne « l’intervention »[ref] La National Emergency Response (L’intervention nationale d’urgence) était constituée des lois suivantes : Northern Territory National Emergency Response Act 2007 (Cth) [Loi sur l’intervention nationale d’urgence dans le Territoire du Nord 2007 (Cth)]; Families, Community Services and Indigenous Affairs and Other Legislation Amendment (Northern Territory National Emergency Response and Other Measures) Act 2007 (Cth) [Modification de la Loi sur la famille, les services communautaires et les affaires autochtones et autres lois (Intervention nationale d’urgence dans le Territoire du Nord et autres mesures) 2007 (Cth)]; Social Security and Other Legislation Amendment (Welfare Reform) Act 2007 (Cth) [Modification de la Loi sur la sécurité sociale et autres lois (Réforme de l’aide sociale) 2007 (Cth)]. Ces lois ont affecté la situation des propriétaires en ce qui concerne le Aboriginal Land Rights Act 1976 (Cth) [Loi sur les droits de propriété aborigènes 1976 (Cth)], et affecté non seulement la suspension de The Racial Discrimination Act 1975 (Cth) [Loi contre la discrimination raciale 1975 (Cth)], mais a aussi eu un impact sur les dispositions du Northern Territory Self-Government Act 1978 (Cth) [Loi sur l’autogouvernance du Territoire du Nord 1978 (Cth)].[/ref] dans le Territoire du Nord, mais aussi dans une autre situation récente où l’État du Queensland a déclaré « l’état d’urgence » en réponse à « l’émeute » de Palm Island. Voilà un autre indice du contrôle incessant des espaces aborigènes.[ref] Le 26 novembre 2004, le gouvernement du Queensland a déclaré un État d’urgence semblable à celui de 1957 quand les résidents de Palm Island manifestaient contre leurs conditions de travail dignes de l’esclavage. En réponse à leur grève, l’État avait envoyé ses forces armées qui, l’arme au poing, ont forcé les manifestants à l’exil pour le reste de leurs vies. Pour plus d’informations sur le sujet, voir Joanne Watson, « We Couldn’t Tolerate Any More: The Palm Island Strike of 1957 » (1995) 69 Labour History, 149. Sensiblement la même chose s’est produite en 2004 quand le gouvernement a envoyé des escouades antiémeutes lourdement armées qui ont arrêté 43 résidants de l’île manifestant contre la mort violente d’un Aborigène en détention. Ceux arrêtés ont été gardés à Townsville. Parmi ceux-ci, Lex Wotten a été emprisonné pendant deux ans. Voir Chloe Hooper, The tall man: Death and life on Palm Island Camberwell (Vic), Random House, 2009. Après avoir purgé sa peine, Wotten a été libéré avec l’ordre de ne pas parler aux médias et ni dans les rassemblements publics (sans l’autorisation de son agent de libération conditionnelle), Alicia Wicks, « Due Process and Parole in Queensland : The Case of Lex Wotton » (2010), 7:20 Indigenous Law Bulletin 13.[/ref]

Les interventions d’état sont chose courante, mais les Premières Nations survivent, vivent et font valoir leur façon d’être pleinement légitime, qui diffère de l’Europe ou de la norme australienne. Pour beaucoup de peuples autochtones, leurs lois aborigènes ont cours dans leur quotidien, dans leur esprit et dans les mémoires de leurs détenteurs et non pas dans une tour d’ivoire ou au Parlement.[ref] En général, les peuples autochtones ont fait valoir la légitimité de leurs lois et remis en question leur déplacement vers la « compétence nationale » des Etats colonisateurs. Pour une discussion plus approfondie, voir Sharon Venne, Our Elders Understand Our Rights: Evolving International Law Regarding Indigenous Rights, Colombie Britannique, Theytus Books, 1998 aux pp 135-165. Pour un échange sur le droit autochtone et le colonialisme, voir Irene Watson, Aboriginal Peoples, Colonialism and International Law: Raw Law, Abingdon, Routledge, 2015.[/ref] Alors que nous portons le fardeau de la preuve de notre existence et de celle de nos lois, très peu osent poser la question, à savoir, quelles lois existaient avant la colonisation, ou bien ce qu’il est advenu de ces systèmes juridiques et aussi comment l’État colonial a pu prendre autorité sur les peuples autochtones.[ref] Moana Jackson, « Justice and political power: Reasserting Maori legal processes » dans Kayleen Hazlehurst, dir, Legal Pluralism and the Colonial Legacy: Indigenous Experiences of Justice in Canada, Australia and New Zealand, Aldershot (UK), Avebury, 1995 à la p 243.[/ref]

Il serait faux de croire que le projet colonial est chose du passé. Le colonialisme reste bien actuel et les statistiques nationales compilées au sujet des peuples autochtones en sont la preuve. Leur situation atteste l’existence de politiques coloniales visant le contrôle et le confinement. Ces politiques consolidant la perte de pouvoir sont maintenues dans ces zones. Actuellement, en Australie, les peuples autochtones sont sans cesse déplacés des réserves contrôlées par l’État situées dans les régions rurales et reculées (riches en minéraux) vers des logements sociaux dans des régions urbaines, et ce, alors qu’un flux constant d’entre eux sont incarcérés ou mis en centre jeunesse. Ces lieux historiques de confinement sont passés de réserves créées et contrôlées par les Aboriginal Acts[ref] Voir par exemple l’Aborigines Act 1910 (Vic)[Loi sur les Aborigènes 1910 (Vic)]; Aborigines Protection Act 1909 (NSW)[ Loi sur la protection des Aborigènes 1909 (NSW)] Aborigines Protection Act 1886 (WA)[Loi sur la protection des Aborigènes 1886 (WA)]; Aborigines Act (1969) NSW[Loi sur les Aborigènes 1969 (NSW]); An Act to amend an Act intituled « An Act to provide for the Protection and Management of the Aboriginal Natives of Victoria 1886 (Vic)[Loi modifiant la « Loi pour la protection et la gestion des Autochtones aborigènes de Victoria 1886 (Vic), (mieux connue sous le nom de Half-Caste Act [Loi sur les demi-castes]); Half-Caste Act 1886 (WA)[Loi sur les demi-castes 1886 (WA)]; Aboriginal Protection and Restriction of the Sale of Opium Act 1887 (Qld)[ Loi pour la protection et la restriction des Aborigènes de la vente d’opium 1887 (Qld)].[/ref] à de nouveaux organes de contrôle tels le système judiciaire et les hôpitaux psychiatriques. Les lieux de subjugation coloniale sont passés des camps de concentration des Aboriginal Acts aux prisons, aux hôpitaux psychiatriques et aux centres jeunesse. La fin du colonialisme semble encore loin. Il est encore présent dans ces institutions, mais sous une autre nature. Quel que soit le mot utilisé pour décrire la subjugation des peuples autochtones, il reste que les lois cherchant à nous maîtriser sont liées à l’histoire coloniale de l’Australie, dont il est presque impossible d’être blanchi.[ref] Dans Mabo v Queensland (No 2, [1992] HCA 23, 175 CLR 1 au para 66 [Affaire Mabo]. Brennan J fait référence à ce « pan de l’histoire » qui « a effacé toute trace de reconnaissance d’un droit ancestral et toute véritable trace des pratiques traditionnelles » et donc « les assises du titre ancestral ont disparu ».[/ref]

La présence continue du colonialisme est masquée en partie par des tentatives néo-libérales de reconnaître des « droits » aux Autochtones et de leur accorder un semblant de reconnaissance. Ces tentatives ont si bien réussi que la colonisation paraît être chose du passé et plus un phénomène persistant – comme si la décolonisation avait été complétée. La compétence nationale australienne en matière de jurisprudence du titre ancestral (native title) en est venue à représenter le retour des terres volées aux Aborigènes par l’État ainsi que la reconnaissance de leur rapport à celles-ci. Cette reconnaissance de leurs terres est un mythe. En réalité, l’État a fini par éliminer le titre ancestral. Dans l’affaire Mabo (no 2), le juge Gerard Brennan a déclaré :

Quand un clan ou un groupe n’a cessé d’honorer les lois (dans la mesure du possible) et de respecter les coutumes issues de la tradition de ce clan ou de ce groupe et où leur relation à la terre a été maintenue, le titre ancestral de ce clan ou de ce groupe peut être considéré comme existant. Les droits autochtones et leurs intérêts peuvent être identifiés et protégés par la Common Law en se référant aux lois traditionnelles et aux coutumes d’un peuple autochtone. Par contre, lorsqu’un pan de l’histoire a complètement effacé toute trace de reconnaissance de droit ancestral et toute véritable trace de pratiques traditionnelles, les assises du titre ancestral ont disparu [nt].[ref] Ibid.[/ref]

L’objectif du projet colonial est d’éliminer tout lien entre les Aborigènes et leurs traditions ancestrales pour en arriver à un point où ils sont complètement engloutis par l’abîme idéologique du « progrès ». La fin de cette « aboriginalité » est une forme de génocide, un argument qui n’a pas eu beaucoup de succès dans les cours australiennes. (Après examen, il a été conclu que le génocide ne faisait pas partie du droit australien.)[ref] Dans le cas d’une demande de bref de mandamus à l’intention de Re Thompson; Ex parte Nulyarimma and Others (1998) 136 ACTR 9; Nulyarimma v Thompson [1999] FCA 1192, 96 FCR 153.[/ref] L’État australien, tout comme les autres membres puissants des Nations Unies, cautionne donc le génocide culturel des peuples aborigènes sans avoir à rendre compte de ses actes à la communauté internationale. Cela est dû en partie à l’hégémonie des États-Unis ainsi que leur complicité et leurs alliances avec le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Ces quatre États ne sont pas les seuls régimes coloniaux encore en place, mais ils travaillent de concert sur la question des peuples autochtones, en particulier en ce qui a trait à la suppression de nos droits territoriaux et à l’auto-détermination. Dans tous les États coloniaux, le « paradigme national » a préséance même si La Déclaration des Nations-Unies sur les droits des peuples autochtones[ref] Pour une critique de la Déclaration, voir White Face et Wobaga, supra note 11; Sharon Venne, « The Road to the United Nations and the Rights of Indigenous Peoples » (2011), 20:3 Griffith L Rev 557; Irene Watson, « The 2007 Declaration on the Rights of Indigenous Peoples Indigenous Survival – Where to from Here? » (2011), 20:3 Griffith L Rev 507.[/ref] semble montrer la voie menant à la protection des droits territoriaux et la reconnaissance du droit à l’autodétermination. Captifs du territoire, les peuples autochtones ne possèdent aucune subjectivité internationale. Pendant des siècles, le projet colonial a tenté de la domestiquer, et ce faisant, il a créé son propre témoignage de l’aboriginalité. L’artiste murri[ref] Murri signifie « personne aborigène », un terme utilisé fréquemment dans le Queensland.[/ref] Richard Bell a peint sa toile célèbre Aboriginal Art – It’s a White Thing (L’art aborigène c’est une affaire de Blancs); j’ajouterais : la conception australienne de notre « aboriginalité » est « une affaire d’État blanc ».

La reconnaissance d’un passé colonial

À maintes reprises, les Premières Nations ont tenté d’obtenir une reconnaissance internationale, sans succès. Cela est dû en grande partie au fait que le droit international a été créé par et pour les intérêts du colonialisme. Le droit international s’est constitué dans un contexte où des distinctions étaient faites entre des peuples considérés civilisés et d’autres non-civilisés. Elles ont permis et confirmé que le droit international ne s’applique qu’à une « famille de nations » civilisée. Anghie soutient que le colonialisme n’est pas un exemple de la mise en application de la souveraineté, mais que celle-ci a été instituée par le colonialisme.[ref] Anghie, supra note 3.[/ref] La souveraineté des Premières Nations a été écartée et ignorée comme si elle n’avait jamais existé avant l’invasion coloniale. L’humanité (ou l’inhumanité) de la personne autochtone était déterminée par des gens ignorants de ce mode de vie.[ref] Pour une discussion à savoir qui désigne l’humain inhumain, voir Judith Butler, Undoing Gender, New York, Routledge, 2004 à la p 2.[/ref]

Bien que les Premières Nations survivent au sein de la matrice coloniale, leurs savoirs et leurs visions du monde ainsi que leur lien à la terre ont également traversé le temps. Dans le même espace, la société coloniale doit sa survie à des débuts illégitimes sur le territoire aborigène. Le lien entretenu avec la terre n’est pas le même pour le colonisateur et les colonisé(e)s; les Aborigènes appartiennent à la terre, tandis que pour les non-Aborigènes, la terre leur appartient. Ce lien à la terre n’est pas reconnu par le droit australien, mis à part une reconnaissance symbolique donnée par le titre ancestral.[ref] Pour une critique approfondie des limitations des droits du titre ancestral en lien avec les droits de propriété aborigènes, voir Irene Watson, « Sovereign Spaces, Caring for Country and, the Homeless Position of Aboriginal Peoples » (2009), 108:1 South Atlantic Quarterly 27.[/ref] En Australie, les procédures entourant le titre ancestral ouvrent la porte aux peuples aborigènes à une reconnaissance néo-libérale dans le cadre juridique du droit foncier occidental. Par contre, le ou la titulaire est limité(e) à un usage bénéficiaire qui exclut les options de pleine propriété constituantes du droit des biens Anglo-Australien. Le ou la titulaire ne peut donc pas profiter des avantages et du droit à la possession exclusive de terres non autochtones. Les propriétaires aborigènes possèdent donc les titres de propriété les plus négligeables, alors que les titres des territoires aborigènes peuvent être éliminés par les politiques gouvernementales ou par le droit législatif. Les liens qu’entretiennent les Aborigènes à la terre sont donc toujours contrôlés par l’État et déterminés par des principes du titre ancestral.

Ces principes sont déterminants pour le quotidien des peuples aborigènes qui, malgré l’holocauste colonial, ont su rester debout et prouver leur lien ancestral à la terre en dépit de la violence caractérisant l’histoire coloniale. Si les peuples autochtones ne parviennent pas à prouver leur appartenance à leurs terres, leur titre ancestral s’éteindra. Cela signifie que tout rapport au pays, au territoire, à la loi, à la culture et à la vie quotidienne des Aborigènes est voué à l’extinction. C’est ce qui se produit quand la cour juge qu’il y a absence de continuité entre la loi, le territoire et les peuples, jugement qui est habituellement rendu par un expert non aborigène, puisque l’attachement au pays ne peut être prouvé. Quand l’ultime décision devait être rendue au sujet du rapport constant entretenu par les Aborigènes, leurs preuves orales ont été mises de côté au profit du témoignage d’un historien blanc.[ref] Yorta Yorta Aboriginal Community v Victoria and Others (2002) 194 ALR 538.[/ref] Par le biais du titre ancestral, le système juridique colonial détermine notre capacité à rester en relation avec la terre. Il détermine cette relation et ses fins. Ce rapport brisé par la colonisation se maintient alors que la « véritable » relation à la terre, celle du contrôle et de la possession, est considérée comme légitime et donc soutenue par le droit australien. Comme il arrive souvent dans les relations entre l’Australie et les Autochtones, ces rapports différents déstabilisent les deux. Pendant deux siècles, les intentions de l’état colonial étaient de mettre fin à « l’aboriginalité ». La civilisation apporte le progrès et met un terme au monde ancien, au monde aborigène, dont les peuples dépendent de la ruwe[ref] ruwe signifie « terre » dans la langue des Tanganekald.[/ref] au lieu d’en être propriétaire et de la contrôler.

Par contre, d’un point de vue aborigène, l’idée que leur droit soit en voie d’extinction est inconcevable. Le droit est vivant et ne peut être détruit, car il vit dans ce pays. C’est un fait, une croyance, une façon de savoir que le monde est toujours en vie, en train d’attendre ce moment « impossible » où viendront reconnaissance et activation.

C’est un acte de résistance et remise en question du pouvoir et de l’autorité des lois australiennes que d’affirmer la pérennité du droit aborigène malgré des lois qui s’établissent au-dessus de la souveraineté et édictées de sorte à éliminer ce droit. Mais qu’en est-il vraiment ? Les lois australiennes peuvent-elles véritablement éliminer cette connaissance de la loi qu’ont les Aborigènes qui diffère du droit australien ? Comment faire disparaître ce dont l’existence a été déniée ? Ces actes d’élimination légitimés par le pouvoir colonial sont-ils légaux (law-full) ? S’ils ne l’étaient pas et que l’État australien tentait d’admettre sa propre illégalité, comment édicterait-il ses lois ? Y’aurait-il des lois qui créeraient un « juricide » plutôt qu’un génocide ?[ref] Ce terme m’a d’abord été suggéré par Valerie Kerruish et n’a pas de définition stricte. Je l’entends dans le sens de tuer une loi par une autre. Mary Linda Pearson y fait également référence dans son ouvrage From Genocide to Juriscide, the last Five Hundred Years: A History of the Genocide of North American Indian Peoples [manuscript non-publié].[/ref] Où est la justice dans ce qui est censé être fait au nom de la loi, la justice est-elle possible quand le droit tente d’éliminer celui de l’autre ?

Comment le droit australien peut-il supprimer le droit aborigène quand celui-ci n’est pas inclus dans les fondements juridiques coloniaux ? Dans la décision rendue au procès Mabo, la High Court of Australia a refusé de reconnaître les lois aborigènes, car en admettre l’existence saperait la structure même de l’État.[ref] Affaire Mabo, supra note 21 aux pp 29–30, 43, 45.[/ref] Comment un droit peut-il en éliminer d’autres en toute légitimité ? Simplement parce qu’il en a la possibilité, parce qu’il a le pouvoir militaire pour y arriver ? Dans le procès Mabo (no 2), la High Court a répondu à cette question en affirmant d’une part que l’Australie a été établie légalement, mais rejetait d’autre part une vision élargie du concept de terra nullius comme étant le socle du droit australien.[ref] Ibid.[/ref] Quand la High Court a rejeté ce concept, beaucoup s’attendaient à une ouverture à la présence aborigène, mais ils ont plutôt réalisé les limites du droit australien. En évaluant le rapport territorial des Autochtones dans le contexte colonial actuel, la Cour a décidé de ne pas reconnaître une présence aborigène si cela présentait la possibilité de rompre la structure du droit colonial. C’est cette illusion de colonisation sous le droit international qui a prévalu lors du jugement dans le procès Mabo (no 2). La structure du droit australien est restée intacte et la question de sa légitimité n’a pas été soulevée en cour puisque celle-ci n’a pas osé remettre sa propre légitimité en question. L’essence du droit aborigène reste vivante dans les terres, les corps et dans les esprits des peuples malgré tout; même si le droit australien occupe tout l’espace.

Dans un contexte colonial, la notion de civilisation a toujours fait partie d’un processus impliquant l’exploitation du monde aborigène; que ce soit les peuples, les territoires, la faune ou la flore. Semblable à l’exploitation minière, il devient difficile de qualifier la chose de développement durable. Les espaces autochtones sont exploités sans égards à la génération à venir. L’immédiat compte par-dessus tout et ce sont les terres des peuples autochtones dont on exploite les ressources, alors que les habitants sont envoyés ailleurs. C’est à croire qu’il n’y a pas d’avenir ni de lien entre ces peuples et leurs terres. Les peuples autochtones sont encore déplacés, réfugiés de leurs terres ancestrales et se retrouvent dans une position sociale, économique et culturelle inférieure aux autres.

Un avenir international?

Le droit international et le colonialisme sont dans une relation de co-dépendance. Bien que le colonialisme soit en grande partie responsable, il ne faudrait pas négliger la possibilité de construire d’un nouveau droit international qui serait libéré de ses origines colonialistes. Entre temps, beaucoup de Premières Nations sont confinées dans un « paradigme national » où les états colonisateurs occupent leurs terres et les regardent du haut de leurs politiques destructrices.

Roger Acuña avance que les peuples autochtones pourraient se servir des droits de la personne s’il y avait d’abord un regard critique porté sur ses liens avec le néo-libéralisme.[ref] Acuña, supra note 5 à la p 246.[/ref] Dans un même ordre d’idée, Anghie recommande que nous ayons une compréhension plus juste de la relation entre le droit international et le colonialisme, afin de changer les inégalités résultant du choc de la colonisation avec les Premières Nations.[ref] Anghie, supra note 3 aux pp 38–39.[/ref] Pour y parvenir, il faut comprendre que le colonialisme institutionnalise, légitime, cache et instaure des rapports de pouvoir violents. China Miéville explique clairement que nous vivons dans un monde où la violence est souvent sanctionnée par la règle de droit. C’est pourquoi la primauté du droit doit être revue.[ref] China Miéville, Between Equal Right: A Marxist Theory of International Law, Chicago, Haymarket Books, 2006, à la p 319.[/ref]

Les recherches de Charmaine White Face fournissent une analyse critique de La Déclaration des Nations-Unies sur les droits des peuples autochtones en démontrant comment elle peut être instrumentalisée par l’empire, tout comme d’autres outils des droits de la personne. Dans ses derniers commentaires au sujet du long processus de rédaction de la Déclaration, White Face pose la question à savoir si les droits de la personne des peuples autochtones ne seront jamais annulés. Elle est d’avis que

[l]orsqu’un système tel que celui qui domine le monde aujourd’hui peut se permettre de passer outre les vies humaines, les ressources naturelles et pratiquement toute forme de vie sur Terre, il est destiné à l’échec. Il reste très peu de temps au système actuel qui inclut aussi celui des Nations-Unies; le principe de causalité aura le dernier mot [nt].[ref] White Face et Wobaga supra note 11 à la p 108.[/ref]

Pendant plus de 500 ans, les peuples autochtones ont survécu à la violence coloniale autorisée et légitimée au nom de la primauté du droit. Ce témoignage n’est pas un appel à continuer dans la même direction ni de tester davantage la résilience des peuples autochtones, c’est un reflet de la situation critique dans laquelle se trouvent les Autochtones et les milieux naturels ainsi que de l’urgence de changer notre trajectoire.

Changer de trajectoire semble peut-être impossible, mais Derrida avance que ces moments – des moments d’apories – sont nécessaires pour prendre une décision qui procurera un avenir à toute forme de vie.[ref] Jacques Derrida, « Time & Memory, Messianicity, the Name of God » dans Paul Patton et Terry Smith, dir, Deconstruction Engaged: The Sydney Seminars, Sydney, Power Publications, 2001 à la p 63.[/ref]

La matrice coloniale a présumé que c’est la primauté du droit qui tient toutes choses en place, et c’est effectivement ce qui garde la colonisation en place. Est-il possible de revoir ce principe et nourrir une nouvelle vision qui serait durable et qui accorderait de l’importance à la survie des générations futures ? Qu’adviendra-t-il de nous si nous changeons ce principe qui fait partie intégrante du monde colonial ? Reviendrions-nous au point de départ, à ce que le monde colonial a conçu comme étant « barbare » ? Ce serait le monde de mes ancêtres, un monde dans lequel ils faisaient appel à leurs propres lois ancestrales comme système juridique afin de garder leurs environnements en place. La désintégration et l’abandon du monde colonial et son acceptation de tout ce qu’il a mis des siècles à essayer d’éliminer semblent inconcevables, mais c’est exactement là où débute la réflexion.[ref] Ibid aux pp 64–65.[/ref] C’est quand elles se demandent comment interagir avec le droit autochtone que les sociétés coloniales stagnent, mais c’est également un terrain d’impossibilité où la pensée devrait débuter.[ref] Voir Watson, « Aboriginal Sovereignties », supra note 5.[/ref] Saisir ce moment d’engagement impossible avec le droit des Premières Nations est aussi une occasion inespérée pour les sociétés coloniales de prendre leur avenir en main afin de changer la trajectoire actuelle et s’ouvrir à des possibilités encore jamais envisagées.[ref] Derrida, supra note 38.[/ref]

Si la trajectoire de pouvoir actuelle ne change pas et que les efforts ne sont pas mis en place pour accepter ce monde « barbare », la question demeure : qu’adviendra-t-il de nous si nous ne pouvons saisir cette opportunité ? Cette question ne se pose pas souvent, car on présume que les lois des Premières Nations sont une relique du passé et qu’en dehors des puissances d’États il n’y a pas d’autres façons ni de moyens légaux pour garder notre monde en place.

Pouvons-nous recommencer et trouver un autre moyen d’assurer une cohésion dans ce monde ?[ref] Une idée proposée par Kevin Buzzacott en parlant lors d’une manifestation avant l’Australia Day (la fête nationale australienne) tenue à La Perouse, en Nouvelle-Galles du Sud le 25 janvier 1988.[/ref] C’est depuis l’arrivée du capitaine Cook en Australie que les Premières Nations se sont vu refuser toute forme de reconnaissance. De là découle aussi tout le reste : l’injustice de l’invasion et la colonisation, le déni de la présence aborigène, de nos lois, de notre culture, de nos visions du monde. Alors que toute forme de reconnaissance et d’activation paraît inconcevable, nous devrions repartir à zéro.

Cette idée semble « folle » quand on songe trop longtemps à la dure réalité du pouvoir, et comment celui-ci se manifeste et tient en place. Les histoires de droit des Premières Nations nous apprennent à gérer ces puissances. L’histoire de la grenouille nous montre comment le rire offre une solution de rechange au pouvoir et à la violence.[ref] Pour une discussion au sujet de l’histoire de la grenouille en lien avec le pouvoir de la souveraineté, voir Irene Watson, « Buried Alive », (2002) 13 Law and Critique 253 à la p 269.[/ref] Nous n’avions pas recours à la violence par le passé,[ref] L’anthropologue Peter Sutton soutenait que la violence endémique actuelle dans certaines communautés aborigènes était inhérente à leur culture. Pour une analyse critique de ces idées et une discussion sur l’impact de la colonisation, voir Irene Watson, « Illusionists and Hunters : Being Aboriginal in this Occupied Space » (2005) 22:1 Austl. Feminist L.J., 15.[/ref] mais les méthodes ancestrales sont-elles encore d’actualité ? Pour qu’elles fassent de nouveau partie de notre réalité, il nous faut changer de paradigme.

Je considère le droit des Premières Nations rempli de potentiel pour l’avenir de l’humanité. Bien que ce point de vue soit discutable (en grande partie à cause du sabotage subi par les peuples autochtones depuis plus de cinq cents ans) c’est le seul qui a encore du sens quand tout le reste a échoué.[ref] Les changements climatiques sont un bon exemple des échecs de la modernité, surtout en considérant la vitesse à laquelle l’environnement se dégrade. [/ref] Surtout quand nous savons que nos lois ancestrales maintenaient, et maintiennent toujours la cohésion de notre monde. Un monde qui survit malgré la modernité et malgré le déni de son existence. À mon humble avis, je ne vois pas pourquoi les lois des Premières Nations ne pourraient être mises en vigueur, mais là encore, beaucoup pensent que c’est impossible. Durant leur existence plutôt récente, les états ont banni nos systèmes juridiques ancestraux, car les espaces occupés par les peuples autochtones étaient les mêmes que ceux où ils ont établi leurs brutales fondations coloniales. L’État se détruirait si les Premières Nations étaient reconnues et valorisées. Elles ne peuvent plus se retrouver simplement dans une partie de ce spectre de « savoir ». Plusieurs critiques voient une impossibilité dans l’existence future des lois des Premières Nations parce qu’ils considèrent qu’elles n’existent plus (si jamais elles avaient existé).

Nous savons que l’Occident cherchait à dominer toute chose, qu’il domine les quatre coins de la Terre et qu’il alimente cette expansion en volant aux Autochtones et à la Terre. Une expansion qui détermine donc sa propre fin : il est clair que

[c]e n’est pas que la contribution de politiques non occidentales au droit international ait été obscurcie par le colonialisme ou que l’étendue du droit international (occidental) résulte du colonialisme. Le droit international est le colonialisme [nt].[ref] Miéville, supra note 36 à la p 169.[/ref]

Il reste que le « droit international » n’a pas changé notre perspective du monde. L’Occident a le pouvoir d’interférer dans nos coutumes ancestrales, mais pas d’anéantir notre droit; la loi c’est la loi. C’est un chant qui sera chanté éternellement.

En imaginant encore comment nous pourrions recommencer en tant que peuples des Premières Nations, je me remémore une de nos chansons modernes : Always was and always will be, Aboriginal law/land (Ça a toujours été et ce sera toujours) le droit aborigène, le territoire aborigène. Des peuples de loi, qui connaissent les rapports entre la loi et la nature, un monde rempli de lois. Un savoir qui, comme Charmaine White Face nous assure, durera pour les cycles de vie à venir. La nature aura toujours le dessus. Ce sont des idées qui font exception à cette trajectoire du progrès et sa propre conclusion à la fin des temps.

Si nous nous détournons de cet avenir possible pour la survie des Premières Nations et pour notre relation avec l’environnement, nous manquerons l’occasion de vivre de façon pleinement légale.

* Professeure de droit à la University of South Australia.
† Après un baccalauréat en études allemandes à l’Université de Montréal, Valérie s’est dirigée vers la traduction en complétant un certificat de traduction 3e langue à l’Université de Montréal (allemand) et un certificat de traduction à l’Université McGill. valeriie.f@hotmail.com
†† Les citations traduites par nos soins sont suivies de la mention [nt] au lieu de [notre traduction] afin d’alléger la lecture. Il n’y a aucune mention lorsque la citation provient d’un texte original français.

About the Author

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Professor Irene Watson belongs to the Tanganekald and Meintangk First Nations Peoples and her ancestral territories cover the Coorong and the south-east of South Australia. She has worked as a legal practitioner and been a member of the Aboriginal Legal Rights Movement SA. As an academic she has taught in all three South Australian Universities from 1989 until now. Professor Watson continues to work as an advocate for First Nations Peoples. Professor Watson was awarded an ARC Indigenous Discovery Award in 2013 and recently completed the project titled: Indigenous Knowledge: Law, Society and the State. In 2015 she published Aboriginal Peoples, Colonialism and International Law: Raw Law, Routledge, 2015, and her forthcoming publications include the edited volume Indigenous Peoples as Subjects of International Law, Routledge, 2017.

 

 

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